Tel un jongleur balbutiant

Publié le 16 Janvier 2015

Après avoir passé une semaine dans un épais brouillard émotionnel, comme tout le monde certainement, j’ai un peu de mal à laisser filtrer la lumière. Et en même temps, lorsqu’elle se manifeste, je me jette sur elle, pour en savourer le moindre filament.

Et puis, au milieu du tumulte, malgré l’envie irrépressible d’ingurgiter des infos à la chaine, même si débitées de façon non constructive, anxiogène voire même dangereuse pour les principaux protagonistes, ils sont là. Pour eux c’est une journée comme les autres, durant laquelle il faut assurer. Ils ne comprennent pas forcément nos regards appuyés, nos mines un peu déconfites qui font comme si, nos câlins plus nombreux. Un jour comme un autre dont on veut leur épargner l’horreur de l’actualité.

Le lendemain, ils entendent bien sûr parler de Charlie dans la cour d’école, certains de leurs copains n’ont pas été restreints en images, eux. La minute de silence pendant la cantine n’a pas fait défaut non plus. Alors le soir, on profite d’instants en tête à tête avec chacun pour mettre des mots sur la tuerie. Pour rétablir la vérité légèrement déformée par les camarades. Les grandes lignes pour le cadet, des explications plus soutenues pour l’aînée, tout en évitant de trop les angoisser. Tu le vois, là le jongleur balbutiant ? Celui à qui l’on tend des balles marquées de mots tels que terrorisme, attentat, caricature, liberté d’expression ?

Tel un jongleur balbutiant

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Par chance, mes plus-si-minis ne sont pas d’un naturel craintif. Ils ont posé des questions, cherché à comprendre, chacun à sa façon, chacun avec son point de vue. MissTer a touché du doigt la chance que nous avons de vivre dans un pays qui marque Liberté sur les frontons de nos mairies. Et par là même, la vie cruelle qu’endurent de nombreuses personnes dans de nombreux pays. De son côté, Bull2Boy s’est assuré que les tueurs allaient bien être arrêtés et conduits en prison. C’était avant les prises d’otages, il s’est donc contenté de notre réponse laconique disant que tous les policiers étaient sur leurs traces. Et puis il a détourné la conversation sur le repas que nous préparions. Comme si de rien n’était. Comme de petites bulles d’oxygène qui t’enjoignent à les suivre, sans réfléchir, pour retrouver par petites touches le « comme avant ».

Ces touches d’instants volés entrecoupés d’atrocités vues / lues / entendues à l’insu de nos pas-encore-très-grands rendent le tout irréaliste. On se demande quand le réveil sonnera, si le cauchemar sera oublié alors. Et puis, en ouvrant plus grand les yeux et les oreilles, on réalise que le monde bouge, se lève, s’indigne. En silence, mais bien visible. Personne ne peut passer à côté. Signe que Fraternité n’est pas qu’un mot abstrait de la devise française. Et voilà qu’à quelque chose malheur est bon.

Le jongleur devient équilibriste, ayant du mal à rester perché sur son fil. Tantôt penché côté désenchantement, tantôt côté espoir. Entre immobilité et impulsion. Mi-désabusé, mi-combattant.

Vivre à la fois des instants historiques et rester aussi ancrée dans le quotidien n’a pas été facile. J’ai eu envie que mes enfants soient plus grands, pour partager réellement cette semaine avec eux. Sans avoir l’impression de leur cacher des choses, mes émotions, nos ressentis. Sans avoir besoin de les évincer, pour les protéger un peu. Se dire qu’ils ne se souviendront peut-être de rien jusqu’à en entendre parler dans quelques années. Et puis pour pouvoir simplement m’épancher avec eux, débattre avec eux, être en colère avec eux. Et puis rire avec eux, aussi, en regardant tous ces dessins qui fleurissent et qui rendent hommage.

Pour autant, ils ont été un soutien insoupçonné. Leur présence est une merveilleuse raison de se ressaisir, de prendre la vie à bras le corps, de se donner les moyens d’innombrables petits et grands bonheurs à vivre dès maintenant. Parce que la vie n’attend pas. Parce que ça ne tient qu’à nous.

Rédigé par Aloès

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