Au rythme du coeur

Publié le 8 Septembre 2016

Aujourd'hui je suis nostalgique de la petite fille que j'étais, excitée chaque année par la rentrée de septembre. Le plaisir de retrouver les copains, de découvrir la nouvelle maîtresse. Réinvestir la cour de récré pour jouer à l'élastique, ou aux billes sur les racines qui soulèvent le goudron au pied des arbres. L'insouciance de l'enfance.

Je retrouve des bribes de tout ça à travers mes enfants, en feuilletant leurs cahiers à grands carreaux et en leur faisant réciter leurs leçons. Je me revois alors dans cette classe de CM2, presque trente ans en arrière, avec mon ardoise et mon petit bureau individuel. Je me souviens des visages des autres enfants, des disputes et des fous rires, du grand tableau vert qui s'ouvrait comme un immense livre, et qui nous réservait souvent un exercice mystérieux lorsqu'il était refermé en fin de journée.

 

Je ne m'étais pas rendue compte à quel point cette période-là avait été heureuse. Faut-il vraiment que mon père disparaisse pour que je replonge dans certaines époques un peu oubliées de mon passé ? C'est vraiment étonnant toutes les émotions par lesquelles on passe quand on perd un proche. Et à quel point elles s'enchainent sans logique, sans prévenir, de la plus noire à la plus joyeuse, les dernières étant généralement liées aux souvenirs heureux vécus avec lui.

Au rythme du coeur

Et puis, au milieu du tumulte, alors qu'on partage en famille toutes ces tranches de vie communes, on découvre aussi quelques faits inédits. C'en est surprenant, on s'étonne de ne pas tout savoir de lui. Alors que bon, honnêtement est-ce que lui savait tout de nous ? C'est d'ailleurs perturbant d'apprendre ces choses d'une autre personne, un peu comme si son jardin secret était exposé sans son autorisation. Lui qui était si discret, si humble aussi, pas sûre qu'il aurait apprécié.

Et comment imaginer que la mort allait nous rapprocher, nous les vivants ? Parce que dans ces cas-là, la chaleur humaine est la seule chose dont on ait besoin. Et quand on sait à quel point ce n'est pas quelque chose de familier pour nous, c'est étonnant de voir à quelle vitesse on a appris. Parce qu'il n'y a rien de tel que d'être accueilli dans les bras de l'autre pour s'y laisser aller. Comme s'il s'agissait de ses bras à lui, celui qui est parti. Ça donne juste envie d'avoir une paire de bras à disposition, à chaque instant de la journée. C'est d'ailleurs ce qui me manque le plus depuis mon retour dans la réalité.

Parce que tant qu'on est ensemble, qu'on vit la même réalité, les mêmes émotions, c'est comme une bulle qui se forme autour de nous. Une bulle pleine d'attentions les uns pour les autres, où il n'y a pas forcément besoin de mots, juste de présence. Et quand la vie reprend ses droits, qu'on revient dans le quotidien, c'est une autre étape que de se confronter aux autres. Ceux qui ne savent pas, ceux qui ne comprennent pas trop. Ceux qui sont dans un autre rythme. C'est compliqué de garder le même tempo qu'eux. Comme si les croches se transformaient en rondes, comme si les soupirs se clonaient à l'infini.

Heureusement, les enfants sont là. Ils font office de liaison entre le reste du monde et nous. Parce qu'ils sont dans un tempo rapide, eux, plein de vie, de rythme, de mélodies. Et en même temps, ils savent faire des pauses, le temps d’un échange, d’une question. Eux aussi ont traversé cette épreuve, et par leur recul, leur perception bien à eux, ils abordent le sujet avec un naturel et une simplicité aussi déroutants que bienfaisants. Ça nous rappelle que la mort fait partie de la vie, que c'est juste un passage obligé et qu'il y a un temps pour la tristesse, et un temps pour reprendre sa vie là où on l'a laissée.

 

Alors je ne sais pas combien de temps sera nécessaire avant de la reprendre complètement comme avant, avec toute la légèreté et l'énergie que j'avais su trouvé depuis quelques mois. Si j'ai bien l'intention de me donner les moyens pour y arriver au plus vite, je sais aussi à quel point il est important de vivre ce qu'il y a à vivre, sans chercher à mettre un mouchoir sur ce deuil. Je vais tacher de faire preuve d'indulgence envers moi-même, ça me changera un peu, et de mettre un pied devant l'autre, à mon propre rythme. Qui ne sera certainement pas constant, il y aura de l'Adagio, de l'Allegro et aussi du Largo. Et le temps fera le reste, parait-il.

Rédigé par Aloès

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W
Toutes mes condoléances ma belle <3
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A
Merci à toi ;) Tes billets de cette semaine sont, sans le savoir, en lien avec ce que je vis, c'est amusant !