Entre réalité et illusion
Publié le 2 Décembre 2016
Il y a la mort subite du nourrisson, et celle, plus discrète, moins injuste et tout aussi subite, du paternel.
Il est parti sans prévenir, sans doute sans même le savoir. La soudaineté de l’évènement, c’est comme une évaporation. Une disparition, pffuit, comme par magie, qui laisse l’illusion qu’il pourrait réapparaitre à n’importe quel instant. Comme dans les films, au début je crois l’apercevoir mille et une fois. C’est sa silhouette, son blouson, sa démarche, sa voix. C’est normal qu’il soit là. Et la seconde d’après, la réalité me rattrape, non, ce n’est pas lui. Ce ne sera plus jamais lui.
Je le retrouve très régulièrement dans mes rêves. C’est ça qui est bien avec les rêves, tout y est logique, même l’extraordinaire. Parfois il est simplement là au milieu de nous, comme avant. Et d’autre fois il est là sans y être, juste une présence, une voix ou quelque chose comme ça. Quand je me réveille avec ce souvenir, je le prends comme une chance d’avoir passé un peu plus de temps avec lui. Même si c’est seulement mon imaginaire, c’est toujours ça de pris. Et puis mon bien-être et mon sourire ces matins-là sont bien réels, eux.
Bientôt quatre mois qu’il n’est plus là, et pourtant il est particulièrement présent. Beaucoup plus qu’avant. Dans nos pensées, nos discussions. Dans nos souvenirs encore tout chauds, si récents avec lui. Dire qu’on va fêter Noël sans lui, rien que l’idée m’est incongrue. On sera rassemblés dans sa maison, plus nombreux que d’habitude, comme si on avait tous besoin d’être là, un peu plus près de lui, alors qu’il n’y est plus. Sûre que je m’attendrai à chaque instant à le trouver assis dans son fauteuil à faire ses mots croisés. A lever un sourcil amusé ou froncé selon le cas. On fera la liste de ce qui n’est plus pareil. Des libertés que l’on prend parce qu’il n’y aura plus de raison de faire autrement. Toutes ces choses qui ont déjà subtilement changées et qu’on a commencé à toucher du doigt lors de nos derniers passages dans cette maison désormais différente. Qui sont à la fois naturelles, et tellement étranges. C’est là qu’on se rend vraiment compte de la place qu’il avait, du rôle qui était le sien et qui nous échappait alors.
Ces derniers mois je découvre les joies de l’ascenseur émotionnel. D’abord ailleurs, dans mes pensées, dans mes souvenirs, proche de lui et loin des gens. Un rien me ramène à lui, m’emmène dans ma bulle. Puis une zone d’accalmie bienfaisante s’installe, avant de repartir pour un tour dans une autre ambiance encore. Certains jours sont au top, avec les idées claires, de la joie et de la motivation pour mille et un projets. Et d’autres sont au flop, avec des flux et reflux de vagues salées qui roulent sur mes joues, emmitouflée dans un plaid sur le canapé. Et ça fait aussi du bien de se laisser aller ainsi.
Et puis, ça se dilue peu à peu, le manque laissant place à une douce tristesse, diffuse et aléatoire. Celle qui fait sourire quand par hasard un mot, une image, une pensée me ramène vers lui par association d’idées. La gorge se serre moins souvent, moins longtemps, et laisse place à autre chose, comme une sorte de nostalgie, de tendresse pour lui.
Il reste encore une grande émotivité, une sensibilité à fleur de peau. Un peu comme une nouvelle naissance. Pour chacun de mes enfants, les portes émotionnelles se sont ouvertes davantage. Depuis eux, je suis souvent émue par des évènements en apparence anodins. Aujourd’hui ça s’ouvre encore plus. Il suffit d’une pensée pour sentir monter l’émotion. Un peu comme si je la connaissais mieux et que je l’autorisais à s’exprimer pleinement.
C’est très con comme idée, mais je crois bien que la mort de mon père me donne une raison valable de vivre mes émotions : la tristesse, la frustration, la colère, la peur, la joie, l'amour. Aujourd’hui je les laisse sortir davantage et les accueille, sachant quelle place leur donner et quelle importance elles ont, toutes autant qu'elles sont.
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